Lorsqu’il est question d’exposer Brancusi, on ne peut pas ne pas considérer l’historique et la vision de l’artiste en matière d’accrochage. Son œuvre existante comme un tout légué sous forme d’« atelier » à l’État français en 1956, fut en réalité peu exposée considérant la notoriété que la critique attribue à l’artiste, qualifié de second Michel-Ange en ce qu’il révolutionne les lignes de la sculpture. De son vivant, il y eut cette exposition à New York en 1926, connue pour son contexte douanier, et qui ne plut que peu à l’artiste. En France, il y eut posthumément une première rétrospective en 1995 au Centre Pompidou, puis une reconstitution de son atelier en 1997 sur la Piazza Beaubourg. Aujourd’hui, c’est donc seulement la deuxième fois qu’une grande rétrospective lui est consacrée, intitulée « Brancusi. L’art ne fait que commencer », et cela de nouveau sous le patronage du Centre Pompidou du 27 mars au 1er juillet 2024.
Les occasions se faisant rares sont-elles à la hauteur de leurs perspectives ? Cette seconde rétrospective reflète-t-elle tout l’esprit de Brancusi ? L’artiste l’aurait-il appréciée ? Ce dernier point, nous ne pourrons évidemment pas le savoir, mais nous tenterons, en tant qu’explorateurs du génie artistique si géant, complexe, dynamique et foisonnant qu’il était de vous donner un aperçu de notre regard de visiteurs.
Le Centre Pompidou, qui en est donc le principal promoteur en France, pour ainsi dire, contribue à légitimer l’importance des œuvres de Brancusi au sein de l’histoire de l’art. Bien qu’il n’ait pas la renommée de Michel-Ange que l’on citait à titre comparatif, c’est un innovateur dans sa perception sculpturale des corps et du monde à travers ce nouveau rapport à la pierre où vient se lover la forme abstraite.
Lorsqu’il est question d’exposer Brancusi, on ne peut pas ne pas considérer l’historique et la vision de l’artiste en matière d’accrochage. Son œuvre existante comme un tout légué sous forme d’« atelier » à l’État français en 1956, fut en réalité peu exposée considérant la notoriété que la critique attribue à l’artiste, qualifié de second Michel-Ange en ce qu’il révolutionne les lignes de la sculpture. De son vivant, il y eut cette exposition à New York en 1926, connue pour son contexte douanier, et qui ne plut que peu à l’artiste. En France, il y eut posthumément une première rétrospective en 1995 au Centre Pompidou, puis une reconstitution de son atelier en 1997 sur la Piazza Beaubourg. Aujourd’hui, c’est donc seulement la deuxième fois qu’une grande rétrospective lui est consacrée, intitulée « Brancusi. L’art ne fait que commencer », et cela de nouveau sous le patronage du Centre Pompidou du 27 mars au 1er juillet 2024.
Les occasions se faisant rares sont-elles à la hauteur de leurs perspectives ? Cette seconde rétrospective reflète-t-elle tout l’esprit de Brancusi ? L’artiste l’aurait-il appréciée ? Ce dernier point, nous ne pourrons évidemment pas le savoir, mais nous tenterons, en tant qu’explorateurs du génie artistique si géant, complexe, dynamique et foisonnant qu’il était de vous donner un aperçu de notre regard de visiteurs.
Le Centre Pompidou, qui en est donc le principal promoteur en France, pour ainsi dire, contribue à légitimer l’importance des œuvres de Brancusi au sein de l’histoire de l’art. Bien qu’il n’ait pas la renommée de Michel-Ange que l’on citait à titre comparatif, c’est un innovateur dans sa perception sculpturale des corps et du monde à travers ce nouveau rapport à la pierre où vient se lover la forme abstraite.
Cette velléité de la géométrie, cette tendance à épurer l’objet, peut trouver une explication biographique. Originaire du village de Hobita en Roumanie, sa maison fut transformée en véritable petit musée. Elle est à l’image de cette source d’inspiration rurale de l’artisanat populaire, qui transparait dans ses sculptures en bois et ses lignes géométriques. Brancusi est connu en tant qu’élève de Rodin, mais dans sa vie parisienne, il côtoie également les célèbres Fernand Léger et Marcel Duchamp, cubiste et dadaïste. Ces rencontres ne sont évidemment pas sans influence sur les changements qu’il déclenche dans l’histoire de la sculpture non pas sans la forte radicalité marquante de son style : fragmentation et réduction.
Ces deux principes stylistiques s’illustrent magistralement dans ses œuvres les plus connues telle « La Muse endormie », les différents « Torses » et « Têtes », la « Princesse X », les « Oiseaux », que la commissaire Ariane Coulondre choisit de présenter sous diverses approches, principalement thématique, mais aussi comparatiste et historique. Les thèmes reflètent fidèlement les différents intérêts de Brancusi portés sur la représentation du corps de l’Homme, d’animaux ou encore son goût plus exotique[1] pour les objets d’artisanat, certains rassemblés dans la reproduction d’un mini atelier de l’artiste situé au cœur de l’exposition.
Cette velléité de la géométrie, cette tendance à épurer l’objet, peut trouver une explication biographique. Originaire du village de Hobita en Roumanie, sa maison fut transformée en véritable petit musée. Elle est à l’image de cette source d’inspiration rurale de l’artisanat populaire, qui transparait dans ses sculptures en bois et ses lignes géométriques. Brancusi est connu en tant qu’élève de Rodin, mais dans sa vie parisienne, il côtoie également les célèbres Fernand Léger et Marcel Duchamp, cubiste et dadaïste. Ces rencontres ne sont évidemment pas sans influence sur les changements qu’il déclenche dans l’histoire de la sculpture non pas sans la forte radicalité marquante de son style : fragmentation et réduction.
Ces deux principes stylistiques s’illustrent magistralement dans ses œuvres les plus connues telle « La Muse endormie », les différents « Torses » et « Têtes », la « Princesse X », les « Oiseaux », que la commissaire Ariane Coulondre choisit de présenter sous diverses approches, principalement thématique, mais aussi comparatiste et historique. Les thèmes reflètent fidèlement les différents intérêts de Brancusi portés sur la représentation du corps de l’Homme, d’animaux ou encore son goût plus exotique[1] pour les objets d’artisanat, certains rassemblés dans la reproduction d’un mini atelier de l’artiste situé au cœur de l’exposition.
En face de cet atelier se profile la courbe de la « Ligne de vie » où sont accrochés une multitude de documents d’archives biographiques. Mais le regard se perd dans cet étalage qui semble davantage montrer l’ampleur d’une collection que la signification de l’œuvre elle-même. Cette historicisation, s’il importe d’en faire une, devrait se concentrer sur le sens de l’art de Brancusi dans la diachronie plus générale de l’histoire sculpturale. Elle semble plutôt maladroitement compenser l’absence de toute une partie du travail du sculpteur, l’indéplaçable ensemble de Târgu Jiu : « La Table du Silence », « La Porte du Baiser » et « La Colonne sans fin », dont les reproductions hors cadre ne peuvent remplacer leur signification inhérente au sol où elles sont fixées. Ces œuvres conduisent à un parcours au sens propre du terme, une déambulation dans la ville, mais aussi à un parcours initiatique, une leçon de vie sur le silence et l’autre, la sexualité et l’infinitude. Certes, tout le monde ne peut se permettre ce détour jusqu’à Târgu Jiu pour affuter son œil à ces travaux majeurs du sculpteur. Cependant, rien ne remplace ce manquement à l’ésotérisme brancusien qui fixe les limites de cette exposition.
Le spectateur quitte donc les lieux en restant quelque peu sur sa faim. Cette présentation riche est un excellent sommaire mais le choix de la rétrospective empêche de s’attarder vraiment sur une œuvre et finalement sur l’Oeuvre. La particularité de Brancusi est de rendre une pièce à la fois unique et semblable à toutes en ce que son décryptage fait conjointement écho à toutes les autres. Comme Brancusi l’a initié lui-même à travers ses séries de photographies démontrant les possibilités de lectures variées d’une même pièce, un temps de regard, de pause sur les différents aperçus angulaires est nécessaire à sa compréhension par l’importance du détail, de la forme ainsi que de l’accrochage (en témoigne cette obsession des socles en bois, en pierre, en plâtre) autrement ce ne serait que passer au travers de Brancusi, de toute sa dimension philosophique et réflexive.
En face de cet atelier se profile la courbe de la « Ligne de vie » où sont accrochés une multitude de documents d’archives biographiques. Mais le regard se perd dans cet étalage qui semble davantage montrer l’ampleur d’une collection que la signification de l’œuvre elle-même. Cette historicisation, s’il importe d’en faire une, devrait se concentrer sur le sens de l’art de Brancusi dans la diachronie plus générale de l’histoire sculpturale. Elle semble plutôt maladroitement compenser l’absence de toute une partie du travail du sculpteur, l’indéplaçable ensemble de Târgu Jiu : « La Table du Silence », « La Porte du Baiser » et « La Colonne sans fin », dont les reproductions hors cadre ne peuvent remplacer leur signification inhérente au sol où elles sont fixées. Ces œuvres conduisent à un parcours au sens propre du terme, une déambulation dans la ville, mais aussi à un parcours initiatique, une leçon de vie sur le silence et l’autre, la sexualité et l’infinitude. Certes, tout le monde ne peut se permettre ce détour jusqu’à Târgu Jiu pour affuter son œil à ces travaux majeurs du sculpteur. Cependant, rien ne remplace ce manquement à l’ésotérisme brancusien qui fixe les limites de cette exposition.
Le spectateur quitte donc les lieux en restant quelque peu sur sa faim. Cette présentation riche est un excellent sommaire mais le choix de la rétrospective empêche de s’attarder vraiment sur une œuvre et finalement sur l’Oeuvre. La particularité de Brancusi est de rendre une pièce à la fois unique et semblable à toutes en ce que son décryptage fait conjointement écho à toutes les autres. Comme Brancusi l’a initié lui-même à travers ses séries de photographies démontrant les possibilités de lectures variées d’une même pièce, un temps de regard, de pause sur les différents aperçus angulaires est nécessaire à sa compréhension par l’importance du détail, de la forme ainsi que de l’accrochage (en témoigne cette obsession des socles en bois, en pierre, en plâtre) autrement ce ne serait que passer au travers de Brancusi, de toute sa dimension philosophique et réflexive.
Une autre problématique plus concrète sur l’appréciation de l’accrochage divisera la catégorie des spectateurs. La hauteur de certaines sculptures comme « Les Oiseaux », par exemple, implique un regard en traveling vertical, qui se termine le plus souvent par le haut. Soit on appréciera la modernité industrielle des plafonds du Centre Pompidou que l’on considérera comme un cadre tout à fait approprié soit elle viendra polluer l’immersion que l’on voudrait contemplative, particulièrement avec les « Oiseaux » exposés également devant le panorama aérien de la vue parisienne, quoique magnifique mais désaxant l’attention du regard. On citera la journaliste Margaret Caroline Anderson qui a écrit sur l’atelier de Brancusi :
« Constantin Brancusi habite un atelier de pierre dans l’impasse Ronsin, rue de Vaugirard. Ses cheveux et sa barbe son blancs, sa longue blouse d’ouvrier est blanche, ses bancs de pierre et sa grande table ronde sont blancs, la poussière de sculpteur qui recouvre tout est blanche, son « Oiseau » en marbre blanc est posé sur un haut piédestal contre les fenêtres, un grand magnolia blanc est toujours visible sur la table blanche. À une époque, il avait un chien blanc et un coq blanc. »[2]
Un accrochage sur le principe du cube blanc d’Alfred Barr – la création d’un espace neutre et blanc – renverrait à l’amour de Brancusi pour la pureté des lignes et de la couleur, et permettrait ainsi une interprétation plus essentielle de l’œuvre.
Il est, en effet, indispensable de contribuer à nourrir un intérêt perpétuel pour Brancusi en le valorisant à sa juste valeur, ce que seul le Centre Pompidou s’est efforcé de réaliser en rendant hommage à ce véritable transformateur. Mais il s’agit d’un ensemble complexe dont l’approche même de la rétrospective est risquée sans le bon aménagement contextuel adéquat. L’idée de s’immerger dans un atelier reconstitué grandeur nature, telle que ce fut proposé par le Centre en 1997, semble être une belle façon de l’exposer.
Une autre problématique plus concrète sur l’appréciation de l’accrochage divisera la catégorie des spectateurs. La hauteur de certaines sculptures comme « Les Oiseaux », par exemple, implique un regard en traveling vertical, qui se termine le plus souvent par le haut. Soit on appréciera la modernité industrielle des plafonds du Centre Pompidou que l’on considérera comme un cadre tout à fait approprié soit elle viendra polluer l’immersion que l’on voudrait contemplative, particulièrement avec les « Oiseaux » exposés également devant le panorama aérien de la vue parisienne, quoique magnifique mais désaxant l’attention du regard. On citera la journaliste Margaret Caroline Anderson qui a écrit sur l’atelier de Brancusi :
« Constantin Brancusi habite un atelier de pierre dans l’impasse Ronsin, rue de Vaugirard. Ses cheveux et sa barbe son blancs, sa longue blouse d’ouvrier est blanche, ses bancs de pierre et sa grande table ronde sont blancs, la poussière de sculpteur qui recouvre tout est blanche, son « Oiseau » en marbre blanc est posé sur un haut piédestal contre les fenêtres, un grand magnolia blanc est toujours visible sur la table blanche. À une époque, il avait un chien blanc et un coq blanc. »[2]
Un accrochage sur le principe du cube blanc d’Alfred Barr – la création d’un espace neutre et blanc – renverrait à l’amour de Brancusi pour la pureté des lignes et de la couleur, et permettrait ainsi une interprétation plus essentielle de l’œuvre.
Il est, en effet, indispensable de contribuer à nourrir un intérêt perpétuel pour Brancusi en le valorisant à sa juste valeur, ce que seul le Centre Pompidou s’est efforcé de réaliser en rendant hommage à ce véritable transformateur. Mais il s’agit d’un ensemble complexe dont l’approche même de la rétrospective est risquée sans le bon aménagement contextuel adéquat. L’idée de s’immerger dans un atelier reconstitué grandeur nature, telle que ce fut proposé par le Centre en 1997, semble être une belle façon de l’exposer.
[1] Terme que Dan Haulica utilise pour qualifier l’art de Brancusi en ce qu’il s’oppose, par ses influences non classiques, à l’art occidental européen. Voir l’émission de radio « Documentaire du vendredi », par Georges Charbonnier, première diffusion le 7 janvier 1977, Radio France https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/constantin-brancusi-5654855
[2] Citée par Télérama dans « L’Incroyable ‘’Love story’’ entre Brancusi et Paris », 27 mars 2024 https://www.telerama.fr/arts-expositions/l-incroyable-love-story-entre-brancusi-et-paris-7019848.php
Photos prises à l’exposition « Brancusi. L’art ne fait que commencer » du 27 mars au 1er juillet 2024 au Centre Pompidou de Paris (tous droits réservés).