Crédits photo, portrait de Priscilla Beccari, Luca Neris, photos suivantes, ©Julien Mignot, Cheeese, ©Benoit Z
La boutique Hermès du 24 rue du Faubourg Saint-Honoré a levé le 11 septembre 2024 à 18h45 le rideau automnal de ses douze vitrines réalisées par l’équipe du directeur de la décoration, Antoine Platteau, et son artiste invitée, Priscilla Beccari. C’est ainsi qu’à chaque saison la direction de la maison se regroupe devant la façade du 24 suivie d’un certain nombre d’observateurs, clients fervents, admirateurs fidèles ou curieux passants, pour assister à la cérémonie traditionnelle du « Lever de rideau », et découvrir avec réjouissance les dernières créations. Selon l’idéologie d’un renouvellement artistique permanent, le groupe Hermès invite régulièrement un artiste pour le « lever » qui, dans un jeu d’influence et de réception, donne ainsi le ton d’une mise en scène inédite et singulière. C’est dans ce cadre, presque ludique, de sauts de la mode de luxe à l’art suggestif et décalé de Priscilla Beccari que ces jeux de regards se sont fixés de l’un à l’autre, de l’un sur l’autre.
Le système de collaboration artistique mis en place par Hermès atteste d’une volonté évidente d’inclusion du monde extérieur, d’adaptation, d’affirmation d’une de leurs valeurs éthiques majeures : la créativité systématisée [1]. Devenues des piliers immuables, ces préoccupations remontent à l’histoire même de la maison qui, reposant entièrement sur une économie hippique au 19e siècle, a dû rapidement se réinventer avec l’arrivée de l’automobile. Grâce à l’inspiration d’Émile Hermès, rappelons-le, est né tout un nouvel univers, du cheval au voyage (malles, trousses, sacs, etc.), du voyage à la mode (chapeaux, bracelets, carrés de soie, etc.) [2].
La boutique Hermès du 24 rue du Faubourg Saint-Honoré a levé le 11 septembre 2024 à 18h45 le rideau automnal de ses douze vitrines réalisées par l’équipe du directeur de la décoration, Antoine Platteau, et son artiste invitée, Priscilla Beccari. C’est ainsi qu’à chaque saison la direction de la maison se regroupe devant la façade du 24 suivie d’un certain nombre d’observateurs, clients fervents, admirateurs fidèles ou curieux passants, pour assister à la cérémonie traditionnelle du « Lever de rideau », et découvrir avec réjouissance les dernières créations. Selon l’idéologie d’un renouvellement artistique permanent, le groupe Hermès invite régulièrement un artiste pour le « lever » qui, dans un jeu d’influence et de réception, donne ainsi le ton d’une mise en scène inédite et singulière. C’est dans ce cadre, presque ludique, de sauts de la mode de luxe à l’art suggestif et décalé de Priscilla Beccari que ces jeux de regards se sont fixés de l’un à l’autre, de l’un sur l’autre.
Le système de collaboration artistique mis en place par Hermès atteste d’une volonté évidente d’inclusion du monde extérieur, d’adaptation, d’affirmation d’une de leurs valeurs éthiques majeures : la créativité systématisée [1]. Devenues des piliers immuables, ces préoccupations remontent à l’histoire même de la maison qui, reposant entièrement sur une économie hippique au 19e siècle, a dû rapidement se réinventer avec l’arrivée de l’automobile. Grâce à l’inspiration d’Émile Hermès, rappelons-le, est né tout un nouvel univers, du cheval au voyage (malles, trousses, sacs, etc.), du voyage à la mode (chapeaux, bracelets, carrés de soie, etc.) [2].
Crédit photo Laetitia Eyiké Vergy ©PointeMag
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En l’omniprésence du créatif et de l’inventif, l’audace est ce maître-mot chez Hermès,[3] que la vision de Priscilla Beccari a incarnée dans l’élaboration des dernières vitrines hermaïques. Antoine Platteau découvre son travail en mars 2024 à la foire du dessin Drawing Now Art Fair, interpellé par sa démarche artistique unique couvant des nuances d’impertinence, de jeu, de provocation et d’humour sous-jacents. Il instigue rapidement un vis-à-vis des regards en immergeant l’invitée dans les profondeurs d’Hermès. Du catalogue que nous offre Beccari viennent prendre forme l’échelle aux pieds chaussés, le grand cheval également botté, les membres ultra longs, les petits tableaux dispersés, et surtout le fluide surréaliste latent dans lequel baignent tous ces objets.
Leur forme altérée, telle la selle qui se déverse en une fontaine de cheveux, fait voyager le spectateur dans un onirisme, où se croisent sensations, souvenirs, métamorphoses audacieuses du réel. Ces jeux de regards se meuvent également en quiz de références. On pensera au « Déjeuner en fourrure » (1936) de la surréaliste Meret Oppenheim, qui dévie la fonction d’objets banals comme la cuillère, la tasse et la soucoupe en les recouvrant de fourrure de gazelle. Le film Ghosts Before Breakfest (1928) de Hans Ritcher évoquait déjà des éléments du commun, le petit déjeuner, le tuyau d’arrosage, l’échelle, que l’on retrouve plusieurs fois chez Beccari. L’artiste vient féminiser l’action de monter et descendre par le bruit résonnant des talons d’escarpins [4]. Sa représentation du monde est une succession d’images souvent liées au quotidien [5] dont les humeurs parfois naïves sont empreintes d’une couleur enfantine [6] de même qu’elles révèlent une certaine folie tantôt proche du fantasme [7]. La selle Hermès aux longs cheveux illustre merveilleusement la teinte érotique et provoquante qui pénètre les nombreuses œuvres de Beccari.
En l’omniprésence du créatif et de l’inventif, l’audace est ce maître-mot chez Hermès,[3] que la vision de Priscilla Beccari a incarnée dans l’élaboration des dernières vitrines hermaïques. Antoine Platteau découvre son travail en mars 2024 à la foire du dessin Drawing Now Art Fair, interpellé par sa démarche artistique unique couvant des nuances d’impertinence, de jeu, de provocation et d’humour sous-jacents. Il instigue rapidement un vis-à-vis des regards en immergeant l’invitée dans les profondeurs d’Hermès. Du catalogue que nous offre Beccari viennent prendre forme l’échelle aux pieds chaussés, le grand cheval également botté, les membres ultra longs, les petits tableaux dispersés, et surtout le fluide surréaliste latent dans lequel baignent tous ces objets.
Leur forme altérée, telle la selle qui se déverse en une fontaine de cheveux, fait voyager le spectateur dans un onirisme, où se croisent sensations, souvenirs, métamorphoses audacieuses du réel. Ces jeux de regards se meuvent également en quiz de références. On pensera au « Déjeuner en fourrure » (1936) de la surréaliste Meret Oppenheim, qui dévie la fonction d’objets banals comme la cuillère, la tasse et la soucoupe en les recouvrant de fourrure de gazelle. Le film Ghosts Before Breakfest (1928) de Hans Ritcher évoquait déjà des éléments du commun, le petit déjeuner, le tuyau d’arrosage, l’échelle, que l’on retrouve plusieurs fois chez Beccari. L’artiste vient féminiser l’action de monter et descendre par le bruit résonnant des talons d’escarpins [4]. Sa représentation du monde est une succession d’images souvent liées au quotidien [5] dont les humeurs parfois naïves sont empreintes d’une couleur enfantine [6] de même qu’elles révèlent une certaine folie tantôt proche du fantasme [7]. La selle Hermès aux longs cheveux illustre merveilleusement la teinte érotique et provoquante qui pénètre les nombreuses œuvres de Beccari.
Les fenêtres de ma poésie sont grandes ouvertes sur les boulevards et dans ses vitrines
Blaise Cendrars [8]
Crédit photo Priscilla Beccari
Crédit photo Priscilla Beccari
Cet espace d’exposition qui donne sur la rue s’est multiplié au 19e siècle. Les grandes foires sont remplacées par les petites boutiques, sujet dont s’est emparé la littérature narrant l’art de vivre bourgeois [9]. Tout l’aspect historique et traditionnel émerge derrière cette mise en scène de la vie du faubourg autour de la boutique Hermès. Ce « Lever de rideau » pose une esthétique de la vitrine en mise en abyme dans le prisme d’une vitrine dans la vitrine, afin de questionner et revaloriser son utilité première. Mettre en scène le faubourg, les clients qui viennent avec leurs petits chiens chez Hermès pour faire des emplettes, apprécier les nouveautés ou simplement les admirer, c’est redonner de la valeur à l’objet. Antoine Platteau et Priscilla Beccari sont deux philexposants [10], deux êtres dont le métier et la passion sont d’exposer, de donner à voir l’objet, un objet transfiguré que ce soit par un artisanat d’excellence, par l’art ou bien les deux.
Les jeux de regards ne jouent-ils pas également au choix de ce sur quoi ils vont porter, de montrer ou ne pas montrer, de rendre visible ou invisible, d’exposer ou seulement suggérer ? Chez Beccari, le public se retrouve souvent voyeuriste à l’insu de son plein gré lorsque son œil croise une scène domestique, l’intime, l’érotique, le nu. De même que la vitrine les révèle chez Beccari [11], on peut parler d’une esthétique de la fenêtre où le spectateur est également un passant dans la rue, une rue aux maisons sans murs sinon aux fenêtres « grandes ouvertes » sur une réification ou une thérianthropie évidentes. L’être, plus précisément la femme, est montrée comme un objet utilisable. Les jambes, élément d’importance dans la poétique de Beccari, symbolisent le féminin. Elles sont suggérées diversement par le jeu des bottes anthropomorphes dans les vitrines d’Hermès. Le « Siège à deux jambes » (2020) de femme, dessiné à l’encre de Chine, semble attendre que l’on s’assoit dessus. Est-ce là la dénonciation de la fonction que la société lui a im-posée ? et, par surcroît, de la société elle-même ? Dans « La Solitude » (2018), le spectateur accède à l’intimité de la chambre à coucher, recouverte d’un papier peint au ton effacé par cette fuite du temps qui s’échappe en oiseaux-cintres dans une fracture où l’espace clos de l’œuvre s’échappe vers le réel. L’anthropomorphisme de l’objet, réalisé sur certaines bottes ou gants de la vitrine, peut inversement être une réification de l’être. Elle semble alors traduire une usure si intense du présent que la femme en vient à se cacher dans une valise [12] comme si elle cherchait à s’enfuir du réel, vers un ailleurs invisible, un autre espace où elle trouverait une meilleure place. Beccari aime jouer entre l’objet exposé et ce qu’il insinue à travers les récurrences de ce féminisme implicite.
Cet espace d’exposition qui donne sur la rue s’est multiplié au 19e siècle. Les grandes foires sont remplacées par les petites boutiques, sujet dont s’est emparé la littérature narrant l’art de vivre bourgeois [9]. Tout l’aspect historique et traditionnel émerge derrière cette mise en scène de la vie du faubourg autour de la boutique Hermès. Ce « Lever de rideau » pose une esthétique de la vitrine en mise en abyme dans le prisme d’une vitrine dans la vitrine, afin de questionner et revaloriser son utilité première. Mettre en scène le faubourg, les clients qui viennent avec leurs petits chiens chez Hermès pour faire des emplettes, apprécier les nouveautés ou simplement les admirer, c’est redonner de la valeur à l’objet. Antoine Platteau et Priscilla Beccari sont deux philexposants [10], deux êtres dont le métier et la passion sont d’exposer, de donner à voir l’objet, un objet transfiguré que ce soit par un artisanat d’excellence, par l’art ou bien les deux.
Les jeux de regards ne jouent-ils pas également au choix de ce sur quoi ils vont porter, de montrer ou ne pas montrer, de rendre visible ou invisible, d’exposer ou seulement suggérer ? Chez Beccari, le public se retrouve souvent voyeuriste à l’insu de son plein gré lorsque son œil croise une scène domestique, l’intime, l’érotique, le nu. De même que la vitrine les révèle chez Beccari [11], on peut parler d’une esthétique de la fenêtre où le spectateur est également un passant dans la rue, une rue aux maisons sans murs sinon aux fenêtres « grandes ouvertes » sur une réification ou une thérianthropie évidentes. L’être, plus précisément la femme, est montrée comme un objet utilisable. Les jambes, élément d’importance dans la poétique de Beccari, symbolisent le féminin. Elles sont suggérées diversement par le jeu des bottes anthropomorphes dans les vitrines d’Hermès. Le « Siège à deux jambes » (2020) de femme, dessiné à l’encre de Chine, semble attendre que l’on s’assoit dessus. Est-ce là la dénonciation de la fonction que la société lui a im-posée ? et, par surcroît, de la société elle-même ? Dans « La Solitude » (2018), le spectateur accède à l’intimité de la chambre à coucher, recouverte d’un papier peint au ton effacé par cette fuite du temps qui s’échappe en oiseaux-cintres dans une fracture où l’espace clos de l’œuvre s’échappe vers le réel. L’anthropomorphisme de l’objet, réalisé sur certaines bottes ou gants de la vitrine, peut inversement être une réification de l’être. Elle semble alors traduire une usure si intense du présent que la femme en vient à se cacher dans une valise [12] comme si elle cherchait à s’enfuir du réel, vers un ailleurs invisible, un autre espace où elle trouverait une meilleure place. Beccari aime jouer entre l’objet exposé et ce qu’il insinue à travers les récurrences de ce féminisme implicite.
Ce qui a permis une si belle collaboration entre l’artiste et la grande maison est cette matière propre à Priscilla Beccari, facilement métamorphosable en être, animal, objet, et même produit de luxe. Son travail utilisé pour les vitrines d’Hermès déroule un questionnement profond sur la société. Son audace réflexive rend inévitable la rencontre entre les deux univers grâce à sa plastique malléable qui montre le sujet et l’objet, les confronte, tout en incitant à s’interroger sur nos codes. L’art de Beccari permet ainsi de traduire la vitrine en une véritable fenêtre d’émotion et de réflexion.
Ce qui a permis une si belle collaboration entre l’artiste et la grande maison est cette matière propre à Priscilla Beccari, facilement métamorphosable en être, animal, objet, et même produit de luxe. Son travail utilisé pour les vitrines d’Hermès déroule un questionnement profond sur la société. Son audace réflexive rend inévitable la rencontre entre les deux univers grâce à sa plastique malléable qui montre le sujet et l’objet, les confronte, tout en incitant à s’interroger sur nos codes. L’art de Beccari permet ainsi de traduire la vitrine en une véritable fenêtre d’émotion et de réflexion.
D’après l’entretien avec Priscilla Beccari, propos recueillis par Laetitia Eyiké Vergy le 13 septembre 2024 à Paris.
[1] Voir « Hermès, entreprise humaniste », Patrick Thomas, Académie des Sciences Morales et Politiques, Institut de France, séance du lundi 21 octobre 2013
[2] Voir « Hermès, une machine à créer », Patrick Thomas, séminaire « Création », séance du 12 novembre 2014, Le Journal de l’École de Paris, n°112, mars-avril 2015
[3] Idem
[4] Voir « Les Escaliers », vidéo, Priscilla Beccari, 2017
[5] Voir, par exemple, « Le Repas », vidéo, Priscilla Beccari, 2018
[6] Voir, par exemple, la « Corde à sauter », installation et vidéo, Priscilla Beccari, 2020; « Amours fauves », vidéo, Priscilla Beccari, 2021
[7] Voir, par exemple, « Cavalcade », vidéo, Priscilla Beccari, 2020
[8] Blaise Cendrars, « Contrastes », Dix-neuf poèmes élastiques, 1919
[9] Voir « La Maison Hermès, du dernier siècle du cheval à l’ère de l’automobile. Une histoire sociale de la consommation urbaine à l’époque contemporaine », Jean-Pierre Blay, Histoire urbaine, n°12 2005/1, 2005; voir « Antoine Platteau dévoile les secrets de ses vitrines pour Hermès », Corinne Jeammet, France Télévisions, Rédaction Culture, 9 juin 2016, https://www.francetvinfo.fr/culture/mode/antoine-platteau-devoile-les-secrets-de-ses-vitrines-pour-hermes_3305025.html
[10] Néologisme à partir du grec ancien philô « aimer » et du français « exposer »
[11] Priscilla Beccari utilise le concept de la vitrine bien avant son projet avec Hermès, voir « La Femme et l’oiseau », installation vitrine, encre de Chine sur papier verni, écoline, 2021
[12] Voir la « Femme-Valise », installation, Priscilla Beccari, 2023. Sur l’usure liée à la condition féminine, voir aussi par exemple, « Tout ceci est épuisant », vidéo Priscilla Beccari, 2021